L’orientalisme
Introduction
Qu’est-ce que l’Orientalisme ?
L’appellation Orientaliste – personne versée dans la science des peuples orientaux, leurs langues, leur histoire, leurs coutumes, leurs religions et leurs littératures – s’applique aussi aux peintres occidentaux du monde oriental. Pour ces artistes – dont le nombre augmenta beaucoup à partir du XIXe siècle –, l’Orient signifia d’abord le Levant, puis engloba l’Égypte, la Syrie, le Liban, la Palestine et la zone côtière de l’Afrique du Nord. L’Espagne, avec son passé arabe, et Venise, par ses relations historiques avec Constantinople, étaient souvent considérées comme les portes de l’Orient. Seuls quelques artistes-voyageurs particulièrement aventureux allaient en Arabie, en Perse ou en Inde ; quant aux pays de l’Extrême-Orient, ils furent virtuellement fermés aux Occidentaux jusqu’à la fin du XIXe siècle. L’Orientalisme ne fut pas une école, car le lien entre les oeuvres se trouvait dans l’iconographie plutôt que dans le style. La technique et le traitement de la lumière et de la couleur évoluaient à chaque décennie, en fonction de l’expérience du peintre lui-même et de ses découvertes artistiques – ou de celles de ses contemporains. Ceci se voit clairement dans les oeuvres reproduites ici, que l’on a présentées dans l’ordre chronologique des voyages des auteurs. Il y a un siècle – et tout un monde de découverte et de meilleure compréhension de l’Orient – entre les sombres empâtements d’Alexandre- Gabriel Decamps et les délicats lavis d’aquarelle d’Augustus Osborne Lamplough. Mais comme beaucoup d’Orientalistes travaillèrent dans le style académique de leur époque – règne du « bien-dessiné » et du « bien-peint » – ils furent rayés des contrôles de l’histoire quand l’académisme cessa d’être à la mode, supplanté par des « ismes » d’avant-garde. Ce n’est pas l’Orient qui cessa d’être en faveur, mais l’ancienne façon de le peindre. Ce n’est guère qu’au cours des deux dernières décennies environ que l’Orientalisme – autrefois universellement connu – commença à resurgir dans la conscience des historiens et professionnels de l’art et du public. Des tableaux firent leur réapparition dans les salles de vente et les galeries, sortirent des réserves des musées, et des expositions furent à nouveau organisées. Tant en raison d’une remise en honneur générale du XIXe siècle – le ridicule devient à nouveau le sublime – qu’en raison d’un renouveau d’estime pour la technique, l’Orientalisme est rentré en faveur. Et ceci n’est certainement pas une mode passagère, éphémère, mais un retour naturel, dans le cycle toujours recommencé du goût, à une juste appréciation de peintures qui sont de merveilleuses invitations, par ce qu’elles montrent et par ce qu’elles suggèrent, à voyager dans d’autres pays et d’autres temps. Colorées, inondées de soleil, étranges, cruelles, tendres ou documentaires, elles nous charment et nous fascinent comme elles l’ont fait des générations précédentes. Chacune a son histoire à raconter, de voyage et d’aventure, de visions et de coutumes disparues à jamais, de la graduelle levée du voile de mythe et de mystère qui recouvrait l’Orient, et des grisantes découvertes de l’exotisme par des Occidentaux habitués à la grisaille des villes industrialisées du Nord.
Les origines de l’Orientalisme
I l y a eu, évidemment, de nombreux points de rencontre entre l’Orient et l’Occident avant le XIXe siècle, un long courant de relations commerciales, diplomatiques et artistiques : les Croisades, les liens étroits entre Venise et la Turquie, l’établissement des Anglais en Inde, la fréquentation des Échelles du Levant par la France. Mais, à l’exception des artistes européens installés à Constantinople (objet de l’ouvrage de A. Boppe, Les Peintres du Bosphore au XVIIIe siècle (Paris 1911, réédition illustrée, A.C.R., 1989), l’Orientalisme était resté presque exclusivement décoratif ; chinoiseries, japonaiseries, turqueries et un vaste salmigondis de styles « orientaux » influençaient le costume, l’architecture et les oeuvres d’art. Le livre de contes Les Mille et Une Nuits contribuait à répandre la vogue de l’exotisme, mais sans aucune prétention à l’exactitude. La passion pour l’Égyptologie à la fin du XVIIIe siècle, la création d’écoles d’études orientales et, plus importante encore, l’expédition de Bonaparte en Égypte en 1798, portèrent l’Orient à l’attention du public. La description de l’Égypte ancienne et moderne dans les ouvrages illustrés du baron Dominique Vivant Denon, ainsi que les tableaux historiques dans des décors orientaux que firent sur l’expédition le baron Gros, Anne-Louis Girodet-Trioson et d’autres artistes, jetèrent les fondations du mouvement orientaliste. La lutte de la Grèce pour se libérer du joug turc, l’adoption de cette cause par les Romantiques, la prise d’Alger par les Français en 1830 et le trop fameux voyage de Delacroix au Maroc en 1832, tout contribuait à ouvrir toutes grandes les portes aux centaines d’artistes désireux de découvrir l’Orient. Les voyageurs, tout comme les casaniers, utilisaient souvent sans hésitation des sources littéraires pour leur inspiration, en général oeuvres de fiction, tels les poèmes turcs de Lord Byron, le roman indien de Thomas Moore Lala Rookh, le Salammbô de Gustave Flaubert, Le Roman de la Momie de Théophile Gautier et Les Orientales de Victor Hugo. Il y avait aussi les récits que faisaient de leurs voyages écrivains et poètes influents, comme François-René de Chateaubriand, Alexandre Dumas père, Gérard de Nerval, Alphonse de Lamartine et Théophile Gautier.
Extrait de l’introduction de: Lynne THORNTON, Les Orientalistes, Peintres voyageurs, ACR Edition, Paris, 1993, pp 4-6.
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